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Edito

La désorganisation du travail par les outils numériques, et ses conséquences

Michel Lemaire, Élu FO Matmut et Trésorier du CSE

L’informatique à tous les étages

L’outil de travail est un élément important du système de production de l’entreprise. Dans l’industrie, la machine reste le symbole de l’outil de travail. Dans le secteur tertiaire, notamment dans le secteur de l’assurance, les outils de travail du salarié sont exclusivement numériques : les ordinateurs ont remplacé le papier et le crayon.

Chaque entreprise a connu une digitalisation de ses fonctions. Les documents se dématérialisent, le papier disparaît. Tous les contrats sont désormais numériques et enregistrés sur des serveurs informatiques de stockage accessibles depuis le réseau, le fameux « cloud ».

Le numérique s’immisce aussi dans le management des équipes, via l’utilisation des courriers électroniques et autres services de messagerie instantanée. Une réunion à organiser ? Il n’est plus nécessaire d’être en « présentiel ». Le « distanciel » est maintenant possible, car Zoom est votre ami…

L’ordinateur est devenu l’outil central et indispensable pour le travail au quotidien.

Tout comme l’utilisation des machine-outils a des conséquences sur la santé des employés de l’industrie, les outils numériques ont un impact sur l’organisation du travail et sur la charge mentale des salariés.

Le cauchemar de l’informatique défaillante

Lorsque l’informatique fonctionne bien, le travail des salariés est moins fastidieux, plus fluide, plus rapide, plus performant… Et l’entreprise s’y retrouve, avec l’augmentation de la productivité et de la compétitivité… Mais qu’en est-il lorsqu’elle dysfonctionne ? Les conséquences sont à la hauteur de l’emprise de l’informatique dans l’entreprise. Et c’est le début du cauchemar…

Le problème avec l’informatique, ce ne sont pas les « bugs », ces fameux défauts que l’on peut retrouver dans les programmes. Car les bugs sont facilement identifiés, les programmeurs chargés du développement peuvent les corriger, car les programmeurs savent comment le programme doit fonctionner. Le périmètre d’intervention est donc parfaitement connu et la correction du bug n’est, dans la plupart des cas, qu’une formalité.

Mais comment cela se passe-t-il lorsqu’un problème n’est pas dû à un bug ? Qu’y a-t-il de pire que les bugs ?

Un château de cartes logicielles bancal et inadapté aux besoins

Que se passe-t-il lorsque l’entreprise décide d’adopter des solutions paramétrables, mais néanmoins standardisées et tente d’intégrer elle-même ces solutions disparates pour ses propres besoins spécifiques ?

Sur le papier (enfin, la brochure offerte par le commerciale de la société éditrice de chaque solution vendue lors d’un bon repas bien arrosé offert par le-dit commercial), la solution vendue permet toujours une bonne intégration avec les autres briques du système d’information de l’entreprise.

Comment cela est-il possible ? La solution est paramétrable, et donc adaptable. Ça, c’est la théorie. Dans la pratique, les différentes briques achetées par l’entreprise ne sont pas conçues pour fonctionner de concert. Et leur potentiel d’adaptation n’y change rien. Le diable se cachant dans les détails, c’est en commençant à intégrer les différentes briques ensembles qu’on se rend compte, trop tard, que la solution est bancale.

Les informaticiens et informaticiennes en charge du déploiement d’un programme inadaptable au besoin recherché ne peuvent pas corriger le problème, puisque la solution souhaitée, si tant est qu’elle soit définie, ne correspond pas à comment le programme doit fonctionner. D’ailleurs, le programme fonctionne très bien pour l’usage pour lequel il a été conçu !

Le problème, c’est que le programme ne doit pas fonctionner tel que l’entreprise le souhaiterait. Le problème, c’est que le problème n’est pas un bug corrigeable… Le problème devient alors un boulet que l’on doit traîner dont il est impossible de se séparer. Cela provoque des conséquences sur le long terme.

Des situations ubuesques…

Ce genre de situation ubuesque arrive malheureusement trop souvent dans le monde professionnel. À la Matmut, nous avons un exemple parfait du problème exposé : SMART.

SMART, comme son nom ne l’indique pas, est le projet de la Matmut d’intégration, tout sauf futée, des solutions SALESFORCE (gestion de clientèle commerciale) et GENESYS (gestion des centres d’appels). Cet ensemble de briques hétérogènes, SMART, est supposé s’intégrer avec d’autres briques, elles aussi hétérogènes, pour répondre aux besoins spécifiques du secteur de l’assurance, et aux règles de gestion de la Matmut en particulier… Évidemment, le résultat est catastrophique. Nous nous sommes déjà exprimés sur le sujet…

Ainsi, de mauvais outils numériques ont des impacts négatifs sur la santé physique et mentale des salariés.

Mais comment un logiciel peut-il impacter la santé des salariés ?

…Et des impacts réels.

Le logiciel n’est pas en soi un mauvais outil de travail, mais il doit être adapté au métier. Tout comme le salarié en industrie dispose de la bonne machine pour travailler, le logiciel informatique doit être conçu pour le métier du salarié. Un logiciel trop vite déployé, non abouti, sans réflexion sur le besoin du métier ou tout simplement trop complexe et trop lourd par rapport à l’environnement de l’entreprise a des conséquences directes sur la santé des salariés.

L’entreprise se trouve confrontée à un rapport coût/avantage peu favorable car elle aura mis en place un outil très cher qu’elle ne sera pas en mesure de maintenir efficacement et qui aura des conséquences sur la productivité et la santé des salariés.

Qui installerait un logiciel pour des commerciaux à des gestionnaires sinistres en assurance ? Cela va de soi qu’un logiciel créé pour un domaine spécifique (la vente) n’est pas adapté pour gérer un dégât des eaux. Il manque des fonctionnalités propres à la gestion de sinistre. Installer un tel logiciel désorganise le travail des salariés, ces derniers étant ralenti dans la gestion des dossiers, devant chercher des méthodes de contournements…

Cela fait 4 ans que la Matmut tente l’expérience de faire travailler les salariés des agences et des services sinistres avec une solution non adaptée. Résultat : les salariés sont fatigués de devoir travailler avec un outil défaillant, ne répondant pas à leur besoin, devant chercher des solutions de contournement pour effectuer correctement leur travail. Les conséquences sont négatives sur le travail et la santé des salariés qui voient la charge mentale augmenter.

« Considérez cela comme un nouveau process. »

Le fiasco est tel que l’entreprise, ici, la Matmut, en est réduite à mettre en place des bidouillages pour les salariés.

Du fait de l’impossibilité d’adapter ensemble les briques logicielles de manière cohérente, il est demandé aux salariés d’utiliser des conventions et syntaxes informatiques (normalement réservées aux informaticiens) pour arriver à leur fin. Ainsi, une simple recherche de dossier géré par un salarié suppose pour ce dernier d’effectuer une saisie en utilisant des codes précis, dans un ordre précis, avec des symboles « % » à utiliser comme séparateurs… Et gare à ne pas se tromper dans la syntaxe !

Est-ce trop demandé de mettre en place un formulaire de recherche adapté ? Bien-sûr, si cela était possible, nul doute qu’un tel formulaire aurait été mis en place. Mais en l’absence de cette possibilité, la seule réponse qui a été apportée face à cette syntaxe farfelue, a été : « Considérez cela comme un nouveau process ». Comprendre : « Désolé, mais l’équipe informatique n’a pas la possibilité d’adapter le logiciel comme il faudrait, alors faite avec. »

Il ne faut pas oublier les informaticiens de l’entreprise qui doivent se plier en quatre pour gérer les applications, (tenter de) les rendre plus efficaces, (tenter de) les adapter au métier, assurer la sécurité de l’environnement de travail avec des logiciels qui sont potentiellement en conflit… Tout en jonglant avec l’exaspération des salariés. Les équipes informatiques travaillant dans de telles conditions peuvent facilement être en burn-out.

L’entreprise se tire elle-même une balle dans le pied.

Par le choix de mauvais outils ou de la multiplication de logiciels non compatibles, l’économie de l’entreprise est également impactée. En effet, au-delà du coût des licences pour chaque logiciel, il y a surtout celui de la productivité : des outils non intégrés et le fait de devoir constamment passer d’une application à l’autre, de devoir gérer les particularités des outils et de devoir faire face à des données non concordantes ajoute du stress et de la lenteur au travail, ce qui se traduit par une perte de productivité. À cela, il faut ajouter le coût de la formation des salariés aux nouveaux outils et la formation des informaticiens pour savoir comment entretenir ces outils. Enfin, il y a le coût d’implémentation et d’intégration et de maintenance constante des outils que l’entreprise ajoute au fur et à mesure.

Le mauvais choix des outils a donc des conséquences aussi bien sur la santé des salariés que sur l’économie de l’entreprise. Les effets de ces logiciels non adaptés au métier ou de la multiplications des logiciels a donc l’effet inverse du but initial recherché : améliorer le travail des salariés et accroître le profit de l’entreprise.

Nous l’aurons compris, pour éviter une désorganisation du travail des salariés utilisant les nouvelles technologies, une entreprise ne doit pas se laisser séduire par les commerciaux. Il faut connaître en amont les besoins du métier et surtout tester -vraiment- la faisabilité avant d’acheter des logiciels, vérifier la compatibilité entre eux. C’est évident, n’est-ce pas ? Et pourtant bon nombre de dirigeants plantent leur entreprise avec des décisions irréfléchies concernant leur système d’information. Si les conséquences sur les résultats économiques peuvent être lourdes, les conséquences sur la vie des salariés le sont davantage !

L’outil doit-être adapté à l’homme et non l’inverse. L’entreprise doit donc penser les outils numériques au prisme des risques psychosociaux qu’ils peuvent entraîner.