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Edito

La Pénibilité du travail dit de « bureau »

Michel Lemaire, Élu FO Matmut et Trésorier du CSE

Une pénibilité inconnue

Le travail de bureau. Être employé de bureau… Sous ces termes se cachent différents métiers. On y trouve notamment l’agent administratif, le/la juriste, le/la secrétaire, le/la comptable…

Hormis quelques métiers d’itinérants, les métiers de l’assurance sont des métiers d’employés de bureaux. Il s’agit de métiers sédentaires qui nous renvoient l’image du salarié assis derrière un bureau toute la journée.

A priori, le métier ne semble pas pénible. D’ailleurs, lorsque des salariés de bureaux se plaignent de leurs conditions de travail, certains managers n’hésitent pas à répondre : « Tu n’es pas dans le bâtiment ici. »

Effectivement, l’employé de bureau n’est pas un ouvrier du bâtiment. Ce n’est pas le même métier et la comparaison ne devrait pas avoir lieu. Cependant, cette réflexion est un déni des conditions de travail du salarié.

A priori, l’ouvrier du bâtiment est plus fatigué physiquement par des années de travail physique qui épuisent son corps. La fatigue physique écrase tout.

Penser que les conditions de travail du salarié de bureau sont plus clémentes est un raccourci réducteur d’une réalité bien plus complexe. D’ailleurs, il convient d’indiquer qu’il ne faut pas comparer la pénibilité des métiers. Chaque métier est différent et a donc sa propre pénibilité.

Une pénibilité réelle, tant physique que mentale

Le travail de bureau expose les salariés à des risques professionnels de diverses natures : problèmes de vue, dans le cas de l’usage d’un ordinateur avec un poste de travail inadapté, stress, matériel non adapté occasionnant des troubles musculo squelettiques, mal de dos ou des problèmes de mains lié à la crispation sur une souris/un clavier inadapté…

Les salariés de bureau sont des victimes de la sédentarité : un risque de surpoids, de maladie cardiovasculaires, d’une baisse de la masse musculaire…

Selon le futurologue comportemental William Higham qui a réalisé une étude “Le collègue du futur” (https://assets.fellowes.com/downloads/fr/fr/workspace/WCOF_Report_FR.pdf ; https://www.youtube.com/watch?v=Eb0dcmmLxbE&t=146s ) à partir d’un échantillon de 3003 participants en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, dans 20 ans, l’employé de bureau aura « des troubles de la posture (dus à une mauvaise position pendant le travail), ainsi que des varices aux mollets (dues au manque d’exercice), un abdomen arrondi, des chevilles enflées (également dues à une activité physique insuffisante), une peau pâle (due au manque de lumière naturelle) et des yeux secs et rouges, à cause des longues heures de travail sur écrans, des rougeurs sur le haut du bras en raison d’un contact régulier avec la chaleur de l’ordinateur portable, un eczéma causé par le stress. La pilosité dans les oreilles et le nez ainsi qu’un nez gonflé, en raison de la mauvaise qualité de l’air..». Être employé de bureau dans quelques années ne fait pas rêver.

Au-delà de cette pénibilité physique, il y a surtout la pénibilité psychique liée à l’intensification du rythme de travail, à la pression de la rentabilité, au mode de management.

Le travail en équipe, sur un open space ou en agence n’est pas une sinécure. Il est courant de constater des situations de harcèlement, de stress ou de burn-out qui occasionnent : eczéma, fatigue, maux de tête, problèmes intestinaux, maladies cardiovasculaires, dépression.

L’activité elle-même ou l’organisation du travail sont aussi les causes de la fatigue psychique. Dans le secteur de l’assurance, sous couvert de la rentabilité, les salariés des agences ont la pression de la hiérarchie pour vendre toujours plus tout en étant en compétition entre les collègues, sans oublier les clients mécontents à gérer. Le stress est présent car l’entreprise fait peser sur les commerciaux le résultat économique de l’entreprise.

Pour les salariés gérant des sinistres, la fatigue mentale est occasionnée par l’organisation du travail : répondre aux mails, au téléphone, aux messages sur les tchats, essayer de gérer les dossiers. Il y a la pression de la hiérarchie pour gérer les dossiers toujours plus vite tout en étant disponible pour répondre au téléphone. Le stress et la charge mentale sont élevés.

La nécessaire reconnaissance de la pénibilité du métier d’employé de bureau

Est-ce que cette souffrance est reconnue par le milieu médical ou politique ?

Sur le plan politique, si les salariés travaillant dans le bâtiment peuvent partir plus tôt en retraite en raison de la pénibilité du travail, il n’en est rien pour les employés de bureau. Cette pénibilité n’est pas reconnue. C’est une lutte que doit mener FO et rapidement.

Alors que, pour reprendre l’exemple du bâtiment, le législateur a imposé aux entreprises de fournir des équipements de protection à certains salariés en raison de l’obligation de santé et sécurité, rien n’est imposé pour le secteur tertiaire. Pourquoi ne pas imposer aux entreprises du tertiaire, un bureau assis-debout avec un siège ergonomique, une souris ergonomique et un rehausseur d’ordinateur portable ? Cela permettrait d’éviter les troubles musculo-squelettiques. À la Matmut, par exemple, la Direction impose au salarié de prendre l’initiative de l’amélioration de ses propres conditions de travail en demandant à la médecine du travail de préconiser un poste de travail adapté… L’entreprise n’est pas proactive dans la préservation de la santé et la sécurité de ses salariés, ce qui est un comble pour une entreprise dite “mutualiste” et qui se revendique comme tel.

Du côté médical, si l’ensemble des métiers est concerné par le syndrome du canal carpien, il est plus difficile de le faire reconnaître dans certains secteurs comme l’assurance et la banque. Pourtant, avec des métiers utilisant quotidiennement une souris non ergonomique, le salarié effectue un appuie carpien ou une préhension de la main. Peut-être que devant le nombre de demandes de reconnaissance de maladie professionnelle, l’assurance maladie rectifiera son tableau.

La manifestation la plus grave de la pénibilité d’un métier du bureau reste le burnout qui semble toujours ne pas être reconnu comme une maladie professionnelle et qui n’a pas été inclus dans la dernière réforme.

En effet, le burn-out, maladie la plus fréquente chez les salariés de bureau, est une maladie hors tableau. Il n’ y a donc pas de présomption de maladie professionnelle. Le salarié doit donc faire la preuve du lien de causalité entre les conditions de travail et sa pathologie.

C’est sur le terrain judiciaire que les choses bougent. Par exemple, la Cour de cassation a accordé le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur à un salarié qui avait alerté son employeur sur son état de fatigue particulièrement important (Cass. Civ 2ème, 16 novembre 2023, n° 22-10357). La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permet à un salarié de bénéficier d’une indemnisation plus importante en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Le travail des syndicats est important pour aider le salarié à faire reconnaître la maladie professionnelle et/ou la faute inexcusable de l’employeur. C’est par les alertes sur les conditions de travail, les interventions en CSE et les avis que les salariés arrivent à constituer le dossier pour faire reconnaître la pénibilité du travail. Le salarié pourra être également aidé par son médecin traitant pour faire reconnaître cette maladie professionnelle. En effet, depuis un arrêt du Conseil d’État du 28 mai 2024, n°469089, la plus haute juridiction administrative reconnaît aux médecins le droit d’utiliser le terme de “burn out” comme motif d’un arrêt de travail.

Sans opposer les métiers, il faut combattre la pénibilité physique et psychique du travail. D’ailleurs, il faudrait proposer un changement de dénomination pour parler d’usure professionnelle qui permettrait d’englober les deux types de pénibilités.

L’objectif étant de mettre fin à la pénibilité du travail, les entreprises doivent travailler plus humainement en prenant soin des salariés comme elles prennent soin des machines ou des outils informatiques. Cela raisonne comme une évidence. Pourtant, en 2024, cette évidence n’est pas réalité.

Le rôle des syndicats est de lutter pour que les salariés puissent travailler dans les meilleures conditions au sein des entreprises. Au niveau national, les confédérations doivent influencer le politique pour que l’usure au travail sous toutes ses formes soit reconnue.