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Edito

Le désengagement de l'État providence

Michel Lemaire, Élu FO Matmut et Trésorier du CSE

L’État providence en perte de vitesse

« On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres et jamais à faire valoir les droits de l’homme pauvre sur la société ». C’est ainsi que s’est exprimé devant l’Assemblée constituante, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt. Il posait les termes du débat sur la question sociale. C’est ainsi que va naître petit à petit l’État providence qui a pour fonction de protéger les individus contre certains risques sociaux, tels que la maladie, la vieillesse, les accidents du travail, ou encore le chômage.

L’État Providence par le service public est le plus à même de préserver et de garantir les intérêts des citoyens, tout en œuvrant pour la réduction des inégalités sociales. Cependant au fil des réformes, en se désengageant, la France passe de l’État providence à l’État Gendarme, ce qui profite aux entreprises privées.

Le désengagement de l’État dans le domaine de la retraite

La loi sur les retraites de 2023, va affaiblir le régime général des retraites. L’allongement de la durée de cotisation va diminuer le montant des pensions. Les français sont confrontés au chômage durant leur carrière, les seniors trouvent difficilement un emploi.

Avec l’élévation de la durée de cotisation, il sera plus difficile d’avoir une retraite pleine avec le régime général.

Pour espérer avoir une retraite décente, les salariés sont tentés de se tourner vers la retraite par privatisation en investissant dans un plan épargne retraite.

Cela profite aux banques et assurances mais pas aux salariés qui doivent encore passer à la caisse pour essayer d’avoir une retraite lui permettant de vivre. C’est ce que confirme France Assureurs dans un communiqué du 31 octobre 2023.

Ces solutions sont loin d’être à la portée de toutes les bourses. Les travailleurs précaires, ceux travaillant à temps partiel ou gagnant le SMIC ou un peu plus que le SMIC n’ont pas les moyens d’investir. Ces plans d’épargne retraites ne sont accessibles qu’à des classes qui disposent de revenus pour épargner un capital suffisant pour une bonne rente. Mettre son épargne retraite en bourse, n’est pas la solution. Souvenez-vous de la crise des subprimes…

A première vue, le désengagement de l’État dans la retraite profite à l’État qui fait des économies en retardant l’échéance de payer une retraite, aux banques qui récupèrent l’argent des travailleurs et aux assureurs qui vendent ces contrats PER.

Mais le désengagement de l’État profite également aux entreprises puisque au fil des années, l’Etat diminue les cotisations patronales qui, aujourd’hui, coûtent 75 milliards d’euros aux contribuables puisque cet argent ne va pas dans les caisses de la Sécurité Sociale. Il y a donc moins d’argent pour financer le système des retraites. Il y a moins d’argent pour les retraités, plus d’argent pour les entreprises avec la baisse des cotisations au détriment des salariés qui ne bénéficient que des inconvénients.

« En dix ans, entre 2012 et 2022, ces exonérations ont été multipliées par 2,7 dans le secteur privé, passant de 25,5 à 72,7 milliards d’euros. » (https://www.force-ouvriere.fr/double-hold-up-sur-le-salaire-differe).

Avec ces allègements des cotisations, l’entreprise fait plus de profit et le salarié n’en profite pas. Pire, il doit travailler plus longtemps et épargner pour compenser ces cadeaux au patronat. Il ne faut pas oublier que ces cotisations sont du salaire différé. Le salaire différé est constitué des cotisations sociales salariales et patronales. Ces sommes sont gérées par la Sécurité sociale, la caisse de retraite ou l’Assurance chômage et sont redistribuées collectivement. Cet argent, même lorsqu’il s’agit de la part patronale, est le produit du travail du salarié. Ce dernier en bénéficie tout au long de sa vie, suivant ses besoins, sous forme de prestations : maladie, retraite, période d’inactivité…

Lorsque les patrons réclament une baisse des charges sociales, ils demandent en réalité une baisse des cotisations sociales et donc une diminution sensible du salaire différé ce qui diminue les fonds disponibles pour la sécurité sociale. L’entreprise est gagnante mais pas le salarié.

L’assurance maladie en danger

Le désengagement de l’État concerne également la sécurité sociale et plus particulièrement la branche maladie.

Le financement de la santé repose sur un financement mixte : Sécurité sociale principalement et complémentaires santé pour ceux qui en ont les moyens. Mais l’équilibre du système, du fait du désengagement progressif de l’Etat, est mis en péril et impose aux mutuelles et acteurs privés une charge financière de plus en plus importante au détriment des français.

Ce désengagement progressif voulu par l’État pèse lourd pour les complémentaires santé et indirectement pour les français. L’objectif du gouvernement étant de réaliser 10 milliards d’économies d’ici à 2027 pour redresser les finances publiques (https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/budget-10-milliards-deuros-deconomies-identifiees-par-le-gouvernement-annonce-bruno-le-maire).

Cela alourdit les dépenses des complémentaires : la part prise en charge par la Sécu diminue, tandis que celle payée par les mutuelle augmente, ce qui est une aubaine pour augmenter les tarifs pour les complémentaires santés avec comme argument : « c’est la faute à l’État qui rembourse moins. » Il faut répercuter les coûts, la clientèle n’a pas le choix et fera encore le sacrifice de quelques euros.

Ce désengagement de l’assurance maladie voulu par l’État n’est pas sans effets sur l’égalité de l’accès aux soins. Les inégalités dans l’accès aux soins s’accroissent entre les individus qui disposent d’une assurance complémentaire et ceux qui n’ont pas les moyens d’y recourir, ainsi qu’entre ceux qui ont les moyens de souscrire une protection très complète et ceux qui n’ont les moyens de souscrire qu’un contrat de base. Comme pour les retraites et l’essor des PER, les classes moyennes sont les plus touchées puisqu’elles prennent souvent un contrat de base pour faire face aux dépenses de santé. Le reste à charge est souvent important et certains français renoncent à se soigner.

Certains politiciens tentent de faire croire qu’il vaut mieux que le français mettent un peu la main pour sauver le système français.

C’est faux ! Il faut le rappeler, tout comme les retraites, l’assurance maladie est financée à 90% par les cotisations et contributions des travailleurs et des entreprises (Page « Comprendre le financement de notre action » du site de l’Assurance-maladie). Les comptes de la Sécurité Sociale gérées par les syndicats sont excédentaires. Mais depuis la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2018, l’État récupère l’excédent ! La loi dite de “programmation des finances publiques pour 2018-2022”, votée fin 2017, a prévu : « Dans cette trajectoire, il est fait l’hypothèse conventionnelle d’une contribution du secteur ASSO [administrations de Sécurité sociale] à la réduction du déficit de l’État, sous forme de transfert, dès 2019. » (https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales–9782348045691-page-180.htm).

Les excédents de la Sécu font l’objet d’un véritable rapt par l’État, la laissant ainsi en équilibre précaire justifiant un désengagement de l’État.

Cela va à l’encontre du modèle social qu’avait voulu le Conseil national de la Résistance et des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. La France décida alors de mettre en place un système de protection sociale basé sur la solidarité, dont les prestations (santé, famille…) serviront à soutenir la relance économique. Cela a changé du jour au lendemain la vie de millions de travailleurs avec enfin la couverture du risque maladie, du risque vieillesse et des allocations familiales. Pour la première fois en France, le suivi de la femme enceinte et du nourrisson sera couvert par des prestations médicales, ce qui va pratiquement éradiquer la mortalité infantile en France.

L’article Ier de la loi du 22 mai 1946 portant généralisation de la Sécurité sociale proclame la vocation de cette dernière à couvrir l’ensemble de la population française contre les aléas de l’existence, cela par « la garantie donnée à chaque homme qu’en toute circonstance, il pourra assurer dans des conditions satisfaisantes sa subsistance et celle des personnes à sa charge. »

Ainsi, l’instauration de l’assurance maladie obligatoire concrétise le droit pour l’individu d’obtenir la protection de l’État en vue de la préservation et du rétablissement de sa santé, droit énoncé par ailleurs dans le préambule de la Constitution de 1946. À ce droit à la santé mis en œuvre par l’État providence correspond la formulation d’un droit universel « dont tout citoyen est titulaire quelle que soit sa situation individuelle ».

Ces réformes sans discontinuité détricotent les droits des travailleurs.

Cet édito pourrait être beaucoup plus long et le même principe peut s’appliquer à la réforme de l’assurance chômage. Il ne faut pas oublier que le financement du régime d’assurance chômage est assuré au moyen de cotisations assises sur le salaire. Nous, travailleurs, nous acceptons d’avoir notre salaire amputé de ces cotisations pour se prévenir du risque d’être sans revenu en cas de perte d’emploi. Aujourd’hui, l’État rabote la durée de l’indemnisation.

Au nom d’une résorption au pas de charge du déficit public, par une réduction massive des dépenses publiques, l’exécutif tient dans son viseur les travailleurs et les assurés sociaux. L’État se fait de moins en moins providence avec nous mais n’oublie pas de ménager les entreprises.

Le chef de l’État se félicite, lui, de la baisse de la fiscalité depuis 2017, « avec 60 milliards d’impôts en moins ». Par diverses réformes, (abaissement de l’impôt sur les sociétés, des impôts de production, suppression de l’ISF…) cela a particulièrement profité aux entreprises et aux plus aisés. C’est oublier aussi les aides publiques aux entreprises, dont les exonérations de cotisations. Au total, autour de 160 milliards par an de manque à gagner pour les finances publiques.

Les travailleurs ne doivent plus accepter la baisse de leurs droits.

Les prochaines élections, une opportunité d’infléchir la tendance.

Dans les entreprises, les travailleurs, via des syndicats, peuvent améliorer leurs droits.

Au niveau national, pour mettre fin au désengagement de l’État, c’est dans les urnes que les travailleurs doivent faire entendre leur voix. La prochaine opportunité est celle de l’élection des députés qui aura lieu les dimanches 30 juin et 7 juillet.

Attention aux partis politiques qui proposent un allégement des cotisations sociales payées par les employeurs, une défiscalisation des heures supplémentaires… C’est encore une diminution du salaire différé, impactant ainsi directement le calcul de la retraite, du chômage, de la sécurité sociale… Ces partis ne s’attaquent en rien au déficit de la sécurité sociale lié aux exonérations des cotisations sociales payées par les employeurs. Au contraire, ces partis excluent de faire payer les plus riches et les entreprises au détriment de nos droits sociaux !

Au lieu de s’atteler à la défense des travailleurs, certains de ces partis préfèrent le raccourci populiste de la stigmatisation des minorités pour attiser les foules tout en ménageant le patronat.

FO, fidèle à ses principes, rappelle qu’elle a combattu et combat les atteintes aux libertés et lutte au quotidien contre les discriminations, notamment le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme. Ce rappel est d’autant plus criant que la haine de l’autre et le repli sur soi se présentent sournoisement sous une apparence qui se veut présentable, en costume-cravate photogénique. Il faut plus que jamais se méfier des apparences !

FO, conformément à la tradition de l’indépendance syndicale, ne donnera aucune consigne de vote. Il convient toutefois de noter que, dans ce mouvement généralisé de désengagement de l’Etat providence, d’autres prônent des mesures allant dans le sens de la conservation des droits des travailleurs. Dès lors, quelques questions évidentes à se poser peuvent permettre d’y voir plus clair, entre autres :

En se posant les bonnes questions sous l’angle de nos droits sociaux, à l’écart du brouhaha médiatique, nous pouvons profiter de ces élections pour orienter les choix du futur gouvernement en faveur des travailleurs.