L’individualisme au travail
L’individualisme, une caractéristique de la modernité.
Que ce soit au niveau national ou à l’intérieur de l’entreprise, la mobilisation des salariés pour défendre leur droit fonctionne de moins en moins. Le collectif est enrayé au profit de l’individualisme.
Celui-ci apparaît après mai 68. Le patronat, traumatisé par les émeutes, se jette à corps perdus dans la lutte contre les mouvements collectifs, sources de contestations. Les salaires sont alors individualisés, les primes sont apparues, tout comme les objectifs individuels, l’entretien individuel… La mise en concurrence généralisée des augmentations individuelles met un frein à la solidarité entre salariés et accentue l’individualisme.
Les évaluations individuelles, les objectifs, le management par le harcèlement… De plus en plus de salariés disent désapprouver ces effets pervers de l’individualisme, mais en restent acteurs.
L’individualisme, un cercle vicieux
Pourquoi ne se révoltent-ils pas, ne contestent-ils pas l’organisation du travail et les conditions de travail ? Le salarié se focalise sur ses propres intérêts, délaissant le collectif.
Pourquoi désapprouver tout en laissant faire ? Pour les salariés, se dresser face à l’employeur pour revendiquer de meilleures conditions de travail ou pour obtenir une meilleure reconnaissance n’est pas un acte anodin. Ainsi, dans un monde du travail baigné par l’individualisme, le doute s’installe dès lors que le collectif est sollicité pour la défense des droits sociaux.
« Si je me dresse mais que je ne suis pas soutenu, que va-t-il m’arriver ? »
Un cercle vicieux annihilateur des luttes s’est installé, à la grande satisfaction d’un patronat rassuré : l’avènement d’un nouveau « mai 68 » ne sera pas pour aujourd’hui.
L’individualisme, cet auto-entreprenariat
Aujourd’hui, notamment chez les jeunes générations, l’altruisme est désuet et l’individualisme professionnel est érigé en véritable feuille de route à observer.
Le salarié individualiste veut tout gagner mais ne rien perdre. Il espère que d’autres mèneront la bataille pour pouvoir bénéficier du fruit du sacrifice du collègue, de son courage de parler.
Tout en espérant bénéficier du fruit de l’action des autres, le salarié individualiste se comporte en auto-entrepreneur. Il gère lui-même sa carrière en étant pro-actif. Au sein de l’entreprise, il veut vivre son rêve américain, gravir les échelons de l’entreprise. Dans un monde du travail basé sur la compétition, une corrélation s’est installée entre l’individualisme et la performance. De fait, la quête de réussite du salarié s’effectue de plus en plus au détriment des autres.
En se repliant sur lui-même, le salarié individualiste s’engage moins dans les actions collectives ou alors son engagement est limité à son univers le plus immédiat. Aujourd’hui, qui va faire une grève pour soutenir des collègues d’un autre service ? Qui exercera une grève à la suite d’un harcèlement d’un collègue pour que tout change ? Qui parlera pour dénoncer une situation qui n’est pas la sienne ?
Désormais, le salarié se demande ce qu’il risque à intervenir pour un collègue. Auparavant, il ne se posait pas la question, l’esprit de groupe permettait une solidarité entre collègues.
Pourtant, en devenant individualiste, certains salariés se meurent lentement de l’intérieur. Le travail rend certains salariés malades.
Le syndicalisme, l’anti-individualisme ?
Le syndicalisme n’échappe pas à l’individualisme. Il ne faut pas se mettre des œillères.
L’individualisme se retrouve malheureusement chez certains syndicalistes qui se servent du syndicat comme un instrument leur facilitant l’atteinte de leurs objectifs personnels. Sans réelle conviction sauf celle de leur intérêt personnel, ces syndicalistes courent de syndicats en syndicats, faisant le grand écart dans les idées qu’ils défendent, du moment qu’ils y trouvent leur intérêt : moins d’heures au travail, et si possible, une évolution professionnelle en échange d’une certaine complaisance avec le patronat.
Alors que le syndicaliste doit-être altruiste, celui qui voguent au gré des opportunités devient un syndicaliste individualiste contraire à la notion même de syndicat. Il s’investit, souvent mal, pour des motivations personnelles et individuelles et non pas pour l’approche collective.
Ce type de syndicaliste est une gangrène. Il instrumentalise son syndicat pour répondre à ses propres besoins, oubliant au passage de défendre les intérêts des collègues. En agissant de la sorte, il parasite les actions légitimes des syndicats qu’il rend moins audibles auprès des salariés.
Les salariés désabusés ne croient plus aux possibilités offertes par le collectif et deviennent alors de plus en plus individualistes…
La boucle est bouclée, le patronat a gagné.
L’individualisme n’est pas une fin en soi
La logique individualiste chez le salarié est-elle une erreur de jeunesse ? J’ose l’espérer ! Avec le temps, les jeunes collègues se rendront compte que le rêve américain au sein d’une entreprise ne concerne qu’une minorité et qu’en haut de la pyramide, il y a peu de place.
Il nous appartient à nous toutes et tous, collègues, de redonner la place au collectif. Par la prise de conscience, le collectif peut à nouveau faire basculer la lutte sociale en faveur des travailleurs, de tous les travailleurs… Et cela peut survenir bien plus vite qu’on ne le pense.