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FO Matmut, la Force syndicale de TOUS les salariés Matmut.
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Edito

Liberté d’expression et droit à la critique en danger !

Michel Lemaire, DSR et RS FO Matmut

Tout citoyen dispose en France de la liberté d’expression, inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Les droits et libertés des salariés ne cessent pas au seuil des entreprises. Dans l’entreprise, le salarié ne perd pas sa capacité de penser et de s’exprimer. Il ne devient pas une ressource humaine.

En effet, le code du travail précise que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (article L1121-1 du code du travail).

Cela semble évident, naturel, que nous puissions nous exprimer au travail. Pourtant, quelque chose de grave se passe dans les entreprises. Les employeurs essaient de museler les salariés jouissant de leur liberté d’expression pour critiquer l’organisation du travail ou les conditions de travail. Ces salariés qui empêchent l’entreprise de tourner en rond se retrouvent sanctionnés, mis au banc des accusés pour avoir refusé le joug de la pensée unique.

Les entreprises reproduisent ainsi le modèle des grandes démocraties telles que la Corée de Nord, la Russie et l’Iran. Nous avons le droit de penser, à la condition que notre pensée soit la même que celle du chef. Nous sommes censés être euphoriques, applaudir lorsque l’employeur met en place une organisation du travail qui nous fait souffrir. Nous avons le droit de verser des larmes. Officiellement ce seront des larmes de joie même si intérieurement ce seront des larmes de douleurs, de souffrances.

Contre cette pensée unique, il convient de rappeler que le salarié peut aussi avoir des différends avec ses collègues, peu importe que cela nuise à l’ambiance sur le lieu de travail.

L’employeur ne peut pas nous imposer de nous entendre avec nos collègues, ni davantage d’exprimer notre opinion ou notre désaccord avec celle de tel ou tel collègue. De même, nous avons tout à fait le droit d’être en désaccord avec notre hiérarchie sans que cela conduise à la sanction. C’est la Cour de cassation qui l’affirme. Ce n’est pas de l’insubordination.

Notre liberté d’expression s’arrête seulement à l’injure, la diffamation.

Alors oui, le salarié qui ose la critique est souvent mal vu, de la direction comme de certains de ses collègues. On dira de lui qu’il a un sale caractère, qu’il est négatif, ou alors qu’il cherche à parler plus fort que les autres pour pouvoir prendre l’ascendant sur tout le monde. L’employeur aura peur qu’il organise une révolte tandis que les collègues, tout en le détestant, le remercient dans leur fort intérieur de dire haut et fort ce qu’ils pensent tout bas. Critiquer négativement l’entreprise c’est faire preuve de courage. La critique est tellement honnie au travail que, même lorsqu’il s’agit d’innover, l’usage veut qu’aucune critique ne soit exprimée !

Pourtant, n’ayons pas peur de nous exprimer. La liberté d’expression dans le milieu professionnel offre un grand champ à la critique. Un salarié peut ouvertement critiquer la gestion de l’entreprise, sans que cela ne constitue nécessairement un abus (Cass. soc. 14 décembre 1999, n° 97-41995).

Un employeur a été condamné pour avoir licencié un salarié qui avait exprimé publiquement, par l’intermédiaire d’un tract, les pratiques managériales de son entreprise en usant de formulations ironiques pour appuyer de façon assez vive ses critiques (Cass. soc. 23 septembre 2009, n° 08-42201).

Alors qu’un salarié a été licencié pour faute grave pour avoir exprimé, sur un site Internet spécialisé dans l’information sociale et syndicale, ce qu’il pensait d’une sanction infligée à l’un de ses collègues qui aurait dénoncé l’absence d’application du code du travail et des conventions collectives au sein de l’entreprise ; la Cour de Cassation rappelle le droit pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit même par l’intermédiaire d’un tel média qui en outre était limité à un certain public (Cass. soc. 6 mai 2015, n° 14-10781).

Le ton employé ne peut pas être reproché au salarié osant faire l’usage de la critique.

Les critiques, même vives, concernant la nouvelle organisation proposée par la direction sont acceptées (Cass. Soc. 14 décembre 1999 n°97-41.995 et Cass. Soc. 9 novembre 2009 n°08-41.927).

De la liberté d’expression a découlé un droit de critique pour le salarié, qui n’est pas contraint de s’effacer face à son employeur. Il faut simplement rester vigilant à l’abus.

L’exercice de la liberté d’expression permet au salarié de s’exprimer dans l’entreprise tant sur les conditions de travail ou la politique de l’entreprise que sur des questions politiques ou de société.

Bien que l’employeur aimerait le contraire, le lien de subordination n’est pas de nature à anéantir la liberté d’expression du salarié, ni sa faculté de critique. Le salarié n’est pas réduit au silence. Il n’a pas à tout accepter de son employeur. Si les méthodes de fonctionnement de l’entreprise ne lui conviennent pas, le salarié est en droit de les critiquer.

Tout comme les employés, les cadres ont aussi le droit à la liberté d’expression, à la critique. Comme le souligne le Professeur Ray, pour les cadres, l’époque des « yes man » est terminée, en référence aux travailleurs américain hochant la tête à chaque dire de leur employeur (J.-E. Ray, droit de critique et obligation de réserve d’un dirigeant, Dr. Soc. 2000, 165). Depuis 1999, la Cour de cassation a mis fin à cette obligation de fidélité des cadres. Dès lors, un cadre ne commet aucune faute en exprimant « dans l’exercice de ses fonctions et à l’intérieur du cercle restreint du comité directeur dont il était membre, des critiques même vives concernant la nouvelle organisation de la direction » (Cass. Soc. 14 décembre 1999 n°97-41.995). La jurisprudence est désormais constante.

Les syndicats jouissent aussi de la liberté d’expression et de la critique. La critique est l’essence même du syndicalisme. Notre rôle est de défendre et promouvoir les intérêts des salariés. C’est pourquoi, nous pouvons exercer des critiques vis-à-vis de l’entreprise.

Sans expression ni critique il ne peut y avoir défense des intérêts des salariés. À ce titre, la première chambre civile de la Cour de cassation avait admis pour une association, à laquelle peut être assimilé un syndicat, que la critique était une composante de la liberté d’expression (Cass. civ. 1ère, 8 avril 2008, n°07-11251).

Parce que la critique a pour but d’améliorer l’organisation du travail et/ou les conditions de travail, il est admis que les idées et les propos du syndicats peuvent heurter, choquer ou inquiéter (CEDH Handyside c/ RU, 7 déc. 1976, n°5493/72). La critique est donc constructive même si elle peut déplaire au destinataire.

La Matmut n’est pas épargnée par la tentative de museler les salariés ou plutôt d’avoir une pensée unique. Notre organisation syndicale a fait l’objet d’une tentative de censure de la part de la direction qui a pensé pouvoir faire ce qu’elle veut au sein de l’entreprise.

Les salariés osant la critique se trouvent mis au pilori et convoqués par la direction de la Matmut. Nous entrons dans un modèle d’organisation où le salarié doit courber le dos et ne rien dire. Subir et ne rien dire. Obéir et ne rien dire. Au sein de la Matmut, petit à petit, la direction élimine ceux qui osent s’opposer et contredire la direction.

La machine est en marche et cette volonté ressort au sein de l’accord sur la qualité de vie au travail. La direction refuse la critique négative du salarié mais souhaite une critique constructive. Cependant, par la critique négative, l’amélioration de l’entreprise est possible. La critique négative est celle qui permet de mieux améliorer l’entreprise.

Il est également important de souligner que dans le cadre de cet accord, la CFE-CGC a proposé d’étendre aux syndicats cette critique constructive. Pour les raisons mentionnées auparavant, je m’oppose, en tant que syndicaliste, à cette tentative de musèlement. Comme l’a rappelé la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il est admis que les idées et les propos des syndicats peuvent heurter, choquer ou inquiéter.

Qu’un syndicat souhaite restreindre cette liberté me laisse songeur…

Alors oui, osons la critique. Ne tombons pas dans le conformisme. Au sein de l’entreprise comme dans la société, osons dire que nous ne sommes pas d’accord. C’est le préalable à la construction d’un monde meilleur.

Comme l’a écrit l’écrivaine québécoise Alice Parizeau dans Les Militants : « Il faut critiquer, il faut constamment tout remettre en cause. Cela permet de rester jeune et de progresser ».

Restons jeunes et continuons de progresser.