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FO Matmut, la Force syndicale de TOUS les salariés Matmut.
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Edito

Le Précariat

Michel Lemaire, DSR et RS FO Matmut

Pendant les Trente Glorieuses (1945-1975), le taux de chômage de la France s’établit à 1,8 %, le CDI étant la norme. Après le choc pétrolier, le taux de chômage augmente rapidement pour atteindre son apogée en 1987 avec un taux à 10,5%.

Avec l’augmentation du chômage, le contrat à durée déterminée (CDD) a été créé en France le 3 janvier 1979, par la loi 79-11. Le CDD a été créé pour prétendument lutter contre le chômage

C’est avec la création du CDD que le terme “précariat” aurait été utilisé pour la première fois par des sociologues français dans les années 1980, pour désigner les travailleurs temporaires et saisonniers. Contrairement aux salariés ayant un CDI, les salariés bénéficiant d’un contrat précaire vivaient difficilement de leur travail. Mais au fil du temps, avec la dégradation du marché du travail, la précarité économique n’est malheureusement plus l’apanage des contrats précaires. C’est pourquoi, comme l’écrit Robert Castel, « il est peut-être temps aujourd’hui de commencer à repenser la précarité » (https://www.revuepolitique.be/quest-ce-que-le-precariat/).

Le CDI est toujours la norme mais au fil du temps, au fil des réformes législatives. Mais avec la recherche toujours plus accrue de la rentabilité des entreprises, le CDI perd sa fonction protectrice.

La définition du précariat ne pouvait qu’évoluer.

Au XXIème siècle, la « contraction des termes précarité et prolétariat désigne les situations socioprofessionnelles minées par l’insécurité économique et l’angoisse quotidienne de la précarité devenue un registre propre de l’organisation du travail et une réalité pour beaucoup de salariés » (Le précariat, une nouvelle classe sociale ? Serge Paugam, Patricia Vendramin, Dans 50 questions de sociologie).

Cette définition est beaucoup plus large que la définition de 1980, en englobant désormais les salariés en CDI. Comment le travail peut-il perdre sa fonction protectrice ? Comment le travail devient-il un vecteur de précarité ?

Le précariat est l’œuvre de la casse sociale mise en œuvre par les différents gouvernements. Pour relancer l’économie, faire diminuer le chômage, les pouvoirs publics ont pris des mesures qui n’ont rien à voir avec les déficits publics. Comme le souligne Alain Supiot dans « Law and Labour, A World Market of Norms ? », New Left Review 39, mai 2006, « l’idée qu’une réforme du droit du travail va créer des emplois est une illusion : l’abrogation complète de toutes les normes au travail salarié a un impact des plus maigre sur le chômage ».

La question du droit du travail n’a rien à voir avec les déficits publics. Le but à peine voilé est de faire augmenter la rentabilité financière des entreprises en faisant croire aux salariés qu’avec plus de rentabilité, l’entreprise augmentera les salaires. La protection sociale qu’offrait auparavant le droit du travail se trouve désormais en concurrence avec la rentabilité financière. Sur le droit de la négociation collective, les ordonnances Macron prolongent clairement la réforme entamée en 2015 par la loi travail. Désormais, la loi se fait en entreprise et les dirigeants ont tout pouvoir pour rogner sur les acquis sociaux, aidé, il faut le reconnaître, par la signature des syndicats d’accompagnement. Désormais, licencier ne coûte rien aux entreprises puisque les indemnités prud’homales sont plafonnées.

Le CDI perd sa fonction protectrice et doit devenir le moins contraignant possible pour l’employeur. Mais cela n’explique pas à lui seul le précariat. La politique de rémunération des entreprises est le premier facteur du précariat.

Pour Guy STANDING, économiste, professeur à l’université de Londres « dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, la pression sur les salaires réels s’est traduite par leur stagnation au cours des trois dernières décennies (…). Dans le monde entier, la part des revenus du travail s’est réduite et celle du capital a considérablement augmenté. Ce sont les rentes — revenus mobiliers et fonciers — qui ont le plus progressé (…). Dans ce contexte, le système de distribution des revenus du XXe siècle a fait faillite. Les salaires réels continueront à stagner, alors qu’au sein des marchés nationaux du travail les disparités salariales entre secteurs et métiers et en leur sein iront croissant » (article du journal Le Monde du 12 juillet 2016 « Le prolétariat précaire est anxieux, dépourvu d’objectifs et en colère »).

Lorsque le salaire ne “paie” plus, lorsque le salaire ne permet plus de vivre, se nourrir ou même se loger, les salariés entrent dans la classe du “précariat”.

De plus en plus de salariés fuient les grandes villes pour pouvoir se loger. Le prix de l’immobilier étant devenu inaccessible. Cette fuite en ruralité ayant commencé depuis quelques décennies, les salariés vont de plus en plus loin pour pouvoir se loger. Les communes étant peu desservies en transport, les économies réalisées sur le logement sont dépensées dans le coût du transport.

Pour les salariés souhaitant rester en ville, de plus en plus sont tentés par la colocation ou restent au domicile des parents plus longtemps, mettant la vie privée entre parenthèses.

Les jeunes diplômés déchantent. Ils ont fait des études, sont allés à l’université. L’État et les enseignants leur vendaient des perspectives de carrière et d’augmentation de revenus. Une fois dans la vie active, il se rendent compte qu’on leur à vendu du rêve.

Les cadres (en particulier à la Matmut) sont également touchés par le précariat. Le statut cadre ne protège plus des fins de mois difficiles.

La hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie a considérablement augmenté l’insécurité économique des salariés qui appartenaient jusqu’à présent à la classe moyenne. Certains n’allument plus le chauffage pendant l’hiver tandis que d’autres vont rogner sur la qualité de l’alimentation. Personne n’est épargné. Les salariés sont dans une incertitude économique. Cette ancienne classe moyenne devenue “précariat” ne part plus en vacances ou de moins en moins souvent.

La combinaison de l’inflation et de la stagnation des salaires ont conduit à une diminution du pouvoir d’achat. La force de travail est dévalorisée : il faut travailler plus pour subvenir aux mêmes besoins qu’auparavant avec son travail. La part des salaires dans les richesses produites dans les entreprises diminue.

Il faut donc augmenter les salaires pour sortir du précariat. L’entreprise en a les moyens car le travail crée de la richesse même si les dirigeants aiment à faire croire le contraire. Sinon, pourquoi est-ce qu’une entreprise emploierait des salariés ? L’achat de la force de travail et son exploitation permettent de dégager des profits. C’est l’essence même du capitalisme. Alors oui, augmenter les salaires signifie moins de profit. Mais l’homme est-il réellement obligé d’exploiter l’homme ? Il faut que le salarié puisse vivre de son travail.

Au-delà de l’aspect économique, un autre facteur pourrait donner une définition plus étendue au précariat : la santé. Comment un lieu de travail peut-il être un lieu où le salarié perd sa santé ? Le capitalisme n’est-il pas arrivé à bout de son modèle ?

Le travail doit-il appauvrir économiquement et médicalement le salarié ?