Dialogue social et sourd d'oreille : un jeu de dupes.
De plus en plus, nous entendons l’expression « dialogue sociale », que ce soit en politique ou au sein de l’entreprise.
En politique, ce fût le cas ces derniers mois avec la crise du carburant où le Président de la République n’a eu de cesse d’affirmer qu’il misait sur le « dialogue social » pour sortir de cette crise. Hier encore, avec la réforme des retraites, lors de son allocution télévisée le 22 mars 2023, le Président de la République a affiché sa volonté de « remettre sur le terrain le dialogue social ». Il renvoie également au dialogue social l’amélioration des conditions de travail des salariés.
En entreprise, les directions mettent en avant le dialogue social dans leur communication pour essayer de montrer qu’elles sont à l’écoute des syndicats.
Mais savons-nous ce qu’est vraiment le dialogue social ? Que définit ce terme ?
Il n’y a pas de définition juridique du dialogue social. La seule définition référencée est celle de l’Organisation Internationale du Travail qui « inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun. Il peut prendre la forme d’un processus tripartite auquel le gouvernement participe officiellement ou de relations bipartites entre les travailleurs et les chefs d’entreprise (ou les syndicats et les organisations d’employeurs), où le gouvernement peut éventuellement intervenir indirectement.…» (https://www.ilo.org/ifpdial/areas-of-work/social-dialogue/lang–fr/index.htm).
Cette définition floue brouille la distinction entre des activités aux finalités différentes : la discussion et la négociation. Cependant, ce n’est pas le message que font passer les dirigeants.
Les dirigeants ont gagné la bataille des idées autour du « dialogue social ». Le dialogue social serait la mère de toutes les vertus : elle réduirait la conflictualité, améliorerait la qualité de vie au travail et serait un gage de démocratie sociale.
Selon Selim Derkaoui et Nicolas Framont « le dialogue social est l’alibi ultime de l’ordre dominant, celui qui permet à ses partisans d’affirmer que tout reste ouvert, tout est sujet à consultation et à grand débats, et qu’il n’y a donc pas matière à s’énerver. » (La guerre des mots, publié par Le Passager Clandestin).
Comment peut-on s’opposer au dialogue social lorsqu’on est syndicaliste ? Évidemment, un syndicat ne refuse jamais de dialoguer, mais encore faut-il que l’interlocuteur écoute. Sous couvert du dialogue social, la Direction estime qu’elle fait de la négociation.
Prenons l’exemple de la Matmut : la Direction arrive avec ses idées et fait semblant de s’intéresser à celles des organisations syndicales. La Direction a rédigé elle-même l’accord, elle bouge quelques lignes pour faire croire aux organisations syndicales qu’elle négocie. La Direction ne négocie en fait qu’à partir de ses propres propositions… Et uniquement à la marge.
Les directions ont oublié qu’un accord collectif, à la suite d’une négociation, est un contrat et qu’il engage des volontés, ce que ne saurait faire un « dialogue », celui-ci n’étant qu’une discussion entre des personnes.
Dans les entreprises, la Direction offre aux représentants des salariés de maigres concessions pour que ces derniers ne sortent pas totalement perdant et ainsi de leur faire la démonstration que le dialogue social a fonctionné pour obtenir le Saint-Graal, c’est-à-dire la signature des syndicats. Il faut naturellement oublier qu’il n’y a pas eu de négociations.
Pour les directions, les syndicats signataires entrent dans la catégorie des gens raisonnables. Les signataires ressortent sous les applaudissements des directions qui, dès le lendemain de la signature, font de la publicité du dialogue social et saluent le sens de la responsabilité des signataires de l’accord. Les syndicats signataires de chaque accord iront faire la publicité des miettes obtenues.
Pour les syndicats non signataires qui ont conscience qu’il n’y a pas eu de négociation mais plutôt un rapport de force au seul avantage de la Direction, que reste-t-il comme solution aux salariés, sinon de se tourner vers un autre mode d’action comme la grève ? Si un syndicat appelle à la grève, il sera dit qu’il refuse le dialogue social.
C’est pourtant oublier, pour les syndicats d’accompagnement (ou réformiste), que les intérêts des syndicats et des directions sont souvent opposés. Cela est dû à la nature du rapport social au travail, fondé sur la subordination juridique des salariés et à cette autorité que s’arroge l’employeur, qu’il déduit faussement du fait qu’il est propriétaire des moyens de production.
Aujourd’hui, le dialogue, puisqu’il est dit « social », ne peut plus être conflictuel. Les parties ne peuvent plus opposer frontalement leur pensée. La comparaison peut se faire entre le Président de la République qui prône le dialogue social mais refuse d’écouter les syndicats, et le Directeur Général de la Matmut qui prône le dialogue social au sein de l’entreprise mais refuse de recevoir FO pour parler des conditions de travail dans les agences.
Dans ce jeu de dupes, lorsqu’il faut assumer les problèmes difficiles, le dirigeant devient sourd d’oreille et ne répond plus.